Poésie : Puis le ciel...

Frontière du feu


De cette cendre du bois à la cendre des défunts,
même finesse de sable, et froideur identique ;
du brasier, intérieur ou visible, ne reste rien
du moins si l’on se fie à ce que l’œil appelle trace.

Comment dans cette poudre sentir respirer l’ami
qui marchait avec moi d’un même côté de la route,
ou l’arbre qui tranquille dans sa lumière avait crû
en déployant toute la grand-voile de son feuillage ?

Qui sait pourtant si nous aurions tort de considérer
sous un angle subtil ce qui est juste certitude
de notre œil et faut-il le dire, du bout du nez,
confondant par raccourci le non visible et le vide ?

Qu’il ne puisse s’agir, c’est à tout le moins évident,
-à bonne distance aussi de l’exaltation mystique,
dans un sens ou dans l’autre- d’apaisante conviction
bien sûr impossible, ne forclôt aucune recherche.

Il serait simple de dire « Tout est blanc, tout est noir »
sur des questions aussi névralgiques, déterminantes
que les traces dans la cendre d’un arbre ou de l’ami.
Les doutes conservent leur effulgence insoutenable.

 

Mélancolie du gléchome


S’il confère à la goutte de pluie, au rai du soleil

leur juste sensation de bienfaisance légitime,

si vents et orages aiguisent son goût de la vie,

même absents ou redoublant au contraire de puissance,

s’il trouve la ressource d’en dépendre a minima

en ses racines, du tréfonds de sa sève secrète

sans que leur signe prochain s’en trouve moins estimé,

est-ce un chant de la ténacité et de l’espérance

que sa présence fait percevoir silencieusement,

cantilène que d’aucuns s’enhardissent à entendre

dans ces aires closes qu’on appelle les champs des morts ?

 

Maison familiale désemplie


Jamais n’aura le plus rien tenu tant de place en moi
amplifié dans la résonance des conches vides,
aux promesses non tenues de grand large et d’horizon ;
on se cristallise autour de ce que la vie disperse.

Les objets aussi ont pouvoir de nous thésauriser,
occupant peu notre espace, auxquels l’on tient quand même
par un filament ténu, certaines fois malgré nous,
face à face sur la crête du Temps, de nos présences.

Leur profil  émerge de nos zones inexplorées,
hors des familiarités du quotidien, dans leur marge
qui rend sources d’un trouble, de ce rien d’égarement
leur contact, soulevés ou non, leur densité, leur forme.

Le temps de les comprendre n’est jamais vraiment venu,
quoi que l’on statue pour eux, ils ne restent pas à leur place,
continuent à être moins réponses que questions
dans ce que s’agissant de nos vies, on appelle un cadre.

On se cloue au quai à la vue de leur éloignement,
l’habitude relâchant plutôt les liens, quoi qu’on dise,
il importe que telle lampe éclaire faiblement
le réduit, que n’atteint nulle autre source de lumière.

Le cortège des souvenirs ne les laisse pas seuls :
sans faire d’eux pour nous des fétiches dans leur réserve
on ne les regarde jamais de la même façon,
si l’habitude estompe la soif de se mieux connaître.

 

Touch-and-go
                                                            A ma mère

Femme de mes jours qui pas un seul ne cesses de l’être
bien qu’absente de nos parages depuis onze années,
que comme tous les enfants du monde j’ai fait souffrir
parce que de vénération je t’espérais parfaite
sans comprendre que tu fusses d’abord un être humain,

toujours consacré au guet de tes possibles passages
dans l’espace invisible ou le rien, jamais le néant
où aucun de nous deux n’était voué à se complaire,
je me rends à l’évidence de mon inanité.
Morts ou vifs nous sommes tous le même grain de poussière ;

aux arcanes de ce vide où je ne me remets pas,
ayant sous-estimé l’ancrage de tes regards phares,
je ne puis que te dédier un mutisme implorant,
incapable désormais d’aller au bout de mes gestes
à cause de questions qui dressent écran entre nous ;

merci de tes tours de ma piste où rien n’atterrit plus.
Je te sens tournoyer par-dessus la tour de contrôle
me donnant souvent l’impression que tu vas te poser,
comme si peu d’eau ayant coulé dans notre rivière
tu venais me reconnaître dans  ma fièvre inchangée.

Je t’adresse sans faillir ma génuflexion profane
d’impotence, dans toutes mes introspections vers toi,
faute d’emprisonner ta main vive entre les deux miennes
et d’à jamais ne plus me sentir livré aux amers
qui rendent étrangère ma survie, presque irréelle.

 

Passage


Les fers d’un cheval imprimés le long du cimetière,

caractères dans ce sens sur un côté du chemin,

les mêmes dans l’autre, parallèles, ont ponctué

une narration qu’efface en partie l’intempérie.

Un peu plus enfoncés sur le devant dans l’herbe rase,

ils se révèlent au regard attentif. Ils sont trace

d’un passage d’équidé monté qui, faisant sa ronde,

sillonne dans les deux directions cette nécropole.

Elle ou Lui, sur pareille monture attardée là,

brave toute nuit glaciale, consolide le règne

déjà incontesté, du gardiennage de l’errance,

cependant qu’incontinent nous prolongeons notre noille

sans égard vis-à-vis de l’hôte, attendant là-bas.

 

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